Je vous annonce que j’ai des anges qui se sont installés chez moi. Je l’avoue, j’ai été un peu négligent dans ce projet (lisez sur le début du projet ici). J’aurais dû surveiller mon fût plus souvent, mais la vie étant ce qu’elle est, on remet toujours à plus tard des choses moins importantes. Je me disais : « Bah, dans les distilleries, le rhum, il passe des années à attendre dans les fûts. Le mien, il peut bien attendre une ou deux semaines de plus ». Pendant ce temps, les anges font la fête.
Alors enfin, un peu de temps libre pour m’asseoir et prendre des notes, comparé l’original à l’« amélioré », goûter ce que le temps et un fût de chêne auront donné à ce rhum Appleton V/X habituellement utilisé pour mixer. Les instructions du fabricant de fûts disaient qu’avec un fût neuf, il valait mieux goûter aux trois semaines pour voir l’évolution des saveurs de notre produit. Au début, j’ai goûté à trois et six semaines. L’évolution me semblait lente alors j’ai décidé d’oublier ça pour l’été et d’y revenir en septembre. C’est pendant ce temps là que des anges sont venus s’installer dans mon sous-sol. Dans la littérature sur les spiritueux, on nous parle de ces anges qui viennent faire la fête dans les salles de vieillissement et qui se délectent de l’évaporation des fameux spiritueux qui dorment dans les fûts au rythme de 2 % par année. Chez moi, soit ils sont plus nombreux qu’ailleurs soit, ils sont ivrognes.
Lorsque j’ai commencé ce projet, j’ai pu mettre environ 1200 ml de rhum dans le fût. Lorsque je l’ai soulevé pour le vider, je le trouvais bien léger. Quelques secondes ont suffi pour transvider son contenu dans une tasse à mesurer. Il ne restait que 125 ml! Quoi? C’est une blague? Je regarde ma conjointe avec un air découragé. Le bois en a certainement bu un peu, mais là, pas à ce point quand même.
— Est-ce que tu en as bu? Sachant très bien que ma conjointe n’aime pas le rhum, je cherche désespérément une explication à cette disparition.
— Ben voyons… Peut-être que c’est ton père qui en but en cachette, dit-elle en riant, mais avec un air aussi éberlué que moi.
Je vais devoir y aller de l’hypothèse que le bois a bu une partie du liquide. Fort probablement un peu plus que je croyais au début à cause du bois neuf. N’ayant pas servi encore, le bois est fort probablement plus gourmand lors du premier vieillissement, le fût étant bon, selon le fabricant, pour 3 à 5 utilisations.
Dans plusieurs livres, on mentionne aussi la grosseur du baril comme un facteur affectant le vieillissement des spiritueux. Un baril plus petit transforme le goût plus rapidement dû au rapport bois-liquide différent. Il faut se rendre à l’évidence, ce rapport affecte probablement aussi le taux d’évaporation.
Côté apparence, les résultats sont définitivement là. La couleur est changée. D’un jaune paille clair et brillant accompagné de reflets dorés, me faisant penser à une bière pilsner, le rhum est passé à cuivré orangé tout en gardant ses reflets dorés. Lorsqu’on fait tourné le verre du V/X, une fine couche de rhum colle à la paroi forme de fines jambes qui coulent rapidement verre le bas. Du côté du R/B (Rhums et Bières), le liquide colle définitivement mieux à la paroi. Les jambes qui sont forment sont plus larges et glissent plus lentement.
Au nez, sans entrer dans les détails, car l’article traite plus de l’expérience que d’une critique, le V/X est plutôt fruité et épicé. Sa transformation en fait un rhum au nez de bois et de vanille dominant, reléguant les fruits et les épices au troisième rang. Un nez beaucoup plus riche supposant un rhum vieillit beaucoup longtemps que le premier. Du côté du fût, le trou de remplissage laisse s’échapper des effluves de rhum vanille et chêne tout à fait enivrant. J’aimerais pouvoir mettre cette odeur dans un parfum d’intérieur (sent-bon) pour profiter de cette odeur à l’occasion ou dans mon atelier en permanence… Mmmm
En ce qui concerne le goût, le V/X n’est pas nécessairement un rhum de dégustation. Il a des caractéristiques de base de tout rhum soit, le caramel, des épices et la vanille. Ces saveurs sont légères et bien balancées pour en faire un rhum sans note vraiment dominante et pour bien se mélanger dans des cocktails. Le R/B, vous vous en doutez probablement, a acquis des notes dominantes de bois et de vanille. L’alcool est plus présent et procure un picotement au fond de la gorge que je ne détecte pas avec le frère. Je détecte un léger goût de fumé accompagné de caramel. Le R/B ressemble au V/X, mais avec les différences notables que le bois peut apporter, peut-être trop dans le cas mon expérience. Le temps de vieillissement a été trop long et je crois avoir dépassé le goût « idéal ». Un peu moins de temps et j’aurais été satisfait.
Bien entendu, je ne m’attendais pas à créer un rhum d’exception à partir d’un rhum moyen. Je voulais un rhum relativement simple qui profiterait bien des qualités du vieillissement pour me donner un résultat intéressant à comparer. Maintenant, avec cette conclusion un peu particulière, j’ai décidé de répéter l’expérience avec le même rhum. J’ai rempli à nouveau le fût avec du Appleton Estate V/X auquel j’ai ajouté mon « restant » de R/B. Noël s’en vient, on fêtera avec du R/B un mois au lieu de six mois. Plus tard cette semaine, je regarde ce que le Maker’s Mark a donné et je pose des pièges à anges…
Lisez sur le début du projet ici